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28 septembre 2021
Litige

Oh well, whatever, never mind. Hum… non, pas possible!

Par Me Catherine Ramsay-Piérard et Me Frédéric Letendre

Le 24 août dernier, Spencer Elden, le bébé nu apparaissant sur la pochette mythique de l’album Nevermind du groupe Nirvana, intentait en Californie des procédures judiciaires à l’encontre de 15 personnes liées à Nirvana, dont les membres du groupe et la succession de Kurt Cobain. Spencer réclamerait une somme approximative de USD 150,000.00 à chacun des défendeurs impliqués.

La raison? L’homme aujourd’hui âgé de trente ans allègue que la photo présente des éléments de pédopornographie, ses parties intimes y étant dévoilées. Au surplus, selon ses avocats, le billet de banque que guette l’enfant sur la photo donnerait l’impression que le bébé est un travailleur du sexe.

Les parents de l’enfant n’auraient jamais donné leur autorisation pour que les clichés de leur bébé soient ainsi utilisés et commercialisés, mais auraient reçu la somme de USD 200.00 pour la prise de cette photo.

Bref, une histoire insolite dont nous suivrons assurément les développements… et qui nous rappelle que le droit à l’image est plus d’actualité que jamais.

À cet effet, notamment, la Cour du Québec a rendu en juin dernier un jugement sévère dans l’affaire Vaillancourt c. Wal-Mart Canada[1] au sujet du droit à l’image, que nous souhaitions porter à votre attention afin de vous informer des risques afférents au fait de négliger un tel aspect.

Mais avant de traiter de cette décision, un court rappel du concept du droit à l’image s’impose. Au Québec, le droit à l’image en est un fondamental et est issu du droit à la vie privée. Chaque personne a le droit de contrôler l’utilisation qui est faite de son image, de son nom, sa voix. À ce titre, celui qui souhaite publier une photo d’une personne doit auparavant obtenir son consentement si elle est identifiable sur celle-ci. Cela est vrai peu importe le véhicule utilisé pour la publication de la photo, qu’il s’agisse entre autres d’une pancarte, d’un journal, d’un blogue ou encore des réseaux sociaux – aussi surprenant que cela ne puisse paraitre.

Évidemment, quelques exceptions s’appliquent. C’est le cas notamment des photos publiées pour des enjeux d’intérêt public, notamment celles permettant d’identifier une personne recherchée. C’est le cas également des photos sur lesquelles apparaissent des gens se trouvant dans un espace public et qui se trouvent en arrière-plan de celles-ci.

Une image vaut 1000 mots… Et 13 500$!

Dans l’affaire Vaillancourt c. Wal-Mart, les parents de trois enfants se seraient présentés au service de photographie du magasin Wal-Mart de Sept-Îles pour la préparation d’un calendrier composé de photos de leurs enfants. Pour ce faire, ils ont fourni au service de photographie une clé USB avec les photos qu’ils souhaitaient inclure à leur projet.

Une fois le projet de calendrier terminé, les parents sont revenus sur leur décision et ont décidé d’abandonner leur commande. Ils ont quitté le commerce, tout en reprenant possession de la clé USB comportant les photos qui devaient faire partie du calendrier.

Deux années plus tard, alors qu’une proche de la famille se trouvait au service de photographie du Wal-Mart en question, celle-ci a aperçu un calendrier composé des photographies des trois enfants, dans lequel ces derniers étaient facilement identifiables. Ce calendrier était effectivement accessible à tous les clients du Wal-Mart de Sept-Îles, et ce, sans que les parents des enfants ne l’aient auparavant autorisé. Il semblerait que le commerce avait conservé le projet de calendrier inachevé pour servir de modèle à des fins commerciales.

La Cour du Québec a statué que Wal-Mart avait bel et bien atteint le droit à la vie privée et à l’image des enfants en vedette dans le calendrier servant de modèle. Wal-Mart a donc été condamné à verser à la famille impliquée la somme de 13 500 $ en dommages-intérêts, en sus des frais de justice, tant pour le stress que cette situation a causé à la mère des enfants, que pour le revenu qu’elle aurait certainement exigé en retour d’une telle utilisation de l’image de ses enfants.

Évitez ce type d’ennuis

Vous avez besoin d’utiliser l’image d’une personne, sa voix ou son nom dans le cadre de vos communications ou publicités? Évitez d’être confrontés à des dérapages semblables à ceux précités en suivant les quelques conseils qui suivent.

D’une part, préparez une entente écrite avec la personne impliquée dans votre projet, afin d’avoir en mains une preuve de son consentement. Si cela peut s’avérer pertinent, précisez :

  1. l’usage que vous comptez faire de son image, son nom ou sa voix;
  2. le contexte d’utilisation;
  3. la durée d’utilisation;
  4. le territoire d’utilisation;
  5. le support impliqué (site web, magazine, podcast…);
  6. la rémunération de la personne impliquée, s’il y a lieu;
  7. la loi applicable, surtout s’il s’agit de projets internationaux;

Par ailleurs, ne présumez jamais que vous avez l’accord de la personne impliquée dans vos projets; faites signer ce document par la personne majeure dont vous souhaitez utiliser l’image, le nom ou la voix, ou par les parents ou tuteurs de cette personne si elle est mineure ou inapte. N’oubliez pas que les paroles s’envolent et les écrits restent… Oh, et puis une fois ce document signé, respectez-le!

D’autre part, soyez au fait des conditions d’utilisation et du type de licence octroyées dans les banques de photos gratuites ou payantes (Getty, Pixabay, Unsplash, etc.) : ces plateformes n’ont pas toutes les mêmes conditions d’utilisation et prévoient certaines restrictions pour l’usage de photos d’individus.

Autre fait important : les photos d’individus sur les médias sociaux ne sont pas des photos publiques que vous pouvez utiliser sans condition. En fait, ces photos sont soumises aux mêmes règles que celles décrites dans cet article.

Quoi qu’il en soit, la poursuite intentée par Elden fera certainement couler beaucoup d’encre. Cette histoire sera-t-elle à l’origine d’une prise de conscience générale relative à l’utilisation et à la publication d’images d’enfants, y compris sur les réseaux sociaux? Le futur nous le dira.

D’ici là, vous doutez de la légalité de l’usage que vous faites d’une image, d’une voix ou d’un nom et des risques afférents à cet usage? Contactez-nous!

[1] Vaillancourt c. Wal-Mart Canada, 2021 QCCQ 5340

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